mercredi, décembre 13, 2017

Le dimanche 10 décembre, les BD Athletes Babsi Zangerl et Jacopo Larcher ont atteint le sommet sur El Cap après avoir réussi à grimper en libre la Magic Mushroom ultra soutenue (VI 5.14a). On a retrouvé ce power-couple pour en savoir plus sur leur historique deuxième ascension.

Vidéo: Plus fort que 11;

Images: Francois Lebeau; Mots: Babsi Zangerl

Babsi Zangerl et Jacopo Larcher ne sont pas étrangers aux parcours de free-climbing difficiles d’El Capitan à Yosemite. Le duo, originaire d’Autriche et d’Italie respectivement, est devenu l’une des meilleures équipes d’escalade en grande paroi en free de l’histoire. En 2015, ils se sont attaqués à l’épreuve incontournable du Huber bro, « El Nino » (VI 5.13c A0), et en 2016, ils ont réalisé la troisième ascension en free du Zodiac (VI 5.13d).

Mais quand l'équipe a jeté un œil à la Magic Mushroom en 28 longueurs — une voie établie par Tommy Caldwell en 2012 —, ils avaient leurs doutes. « On pensait que ce serait un projet à long terme, » raconte Larcher. « Ça nous semblait impossible, » ajoute Babsi. Quoi qu'il en soit, l'équipe s'est mise au boulot. Ils ont passé presque un mois sur la voie, travaillant sur la douzaine de longueurs qui se situent dans la gamme 5.13 à 5.14-, et en une seule poussée de 11 jours, ils se sont étonnés eux-mêmes en décrochant le deuxième free-ascent de la Magic Mushroom — sans doute l'une des voies les plus dures d'El Cap, juste après la Dawn Wall.

On a retrouvé Babsi et Jacopo entre leurs sessions de jacuzzi et leurs grignotages effrénés pour entendre parler de leur dernière aventure à El Cap.

Questions et réponses:

Tout d'abord, félicitations ! Comment te sens-tu après avoir été sur le mur ?

Babsi: On est plutôt fatigués après autant de jours sur le mur ... Maintenant, c'est définitivement l'heure du bain à remous.

Tu te reposes à Yosemite ou tu prends bientôt la route?

Babsi: On est chez "Yosemite bug" en ce moment. C'est à seulement 40 minutes de la Valley. Ici, on mange bien toute la journée et on passe d'une séance de bain à remous à l'autre.

Alors, Magic Mushroom. Qu'est-ce qui t'a inspiré à grimper cette ligne ?

Babsi: Tout d'abord, c'était l'idée de Jacopo d'essayer cette route. J'étais hyper excité, mais en même temps un peu choqué après avoir vu le topo pour la première fois. Alors, au début de cette année, on était décidés à retourner dans la Valley à l'automne… mais on n'avait pas de plan ou de projet précis (comme toujours). D'abord, j'ai toujours voulu jeter un œil au Nose et Jacopo était partant pour ça aussi. Mais pour être honnête, j'étais plutôt sûr qu'on finirait sur Magic Mushroom. En octobre et novembre, c'est juste trop animé sur le Nose pour pouvoir l'essayer sans engagement.

Tu as grimpé la voie depuis le sol en premier, non ? Pourquoi ce style ?

Babsi: D'accord. Pour nous, c'était tout simplement logique de commencer par le bas et de vérifier pitch après pitch, avec le risque de ne pas réussir un move au sommet. Ça rend tout plus excitant et intéressant. Bien sûr, c'est plus facile si tu sais que la voie avait déjà été libre escaladée.

Combien de jours as-tu passé à travailler la route ?

Babsi: On a passé beaucoup de jours sur le mur. Je pense plus de 30. Il y avait aussi énormément de boulot à faire ! Sur les pentes plus basses, il y avait plein de saleté. Certaines fissures étaient complètement bouchées par la mousse et la terre. Du coup, pendant quelques jours, on n'avait besoin que de nos brosses au lieu de chaussons d'escalade. D'habitude, on passait toujours plusieurs jours sur le mur. Pendant ce temps, on grimpait quelques pentes par jour et on essayait de hisser notre portaledge plus haut sur le mur. On a surtout passé du temps à chercher la bonne technique… parfois, il nous fallait une demi-journée juste pour trouver deux ou trois mouvements sur les pentes les plus dures. La plupart du temps, on grimpait la nuit ou tôt le matin. Sous le soleil, c'était toujours trop dur. (On se levait quand même à 4 heures du matin — c'est difficile de changer sa routine quotidienne.)

Et Babsi, t'es tombée malade ? Jacopo, toi aussi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

Babsi: Oui, j'ai eu une infection à l'estomac et j'étais pas sûr de pouvoir continuer. Je voulais vraiment pas abandonner ! Heureusement, j'ai commencé à me sentir mieux après une journée de repos.

Jacopo: Non, heureusement je ne suis pas tombé malade … et, comme Babsi pouvait se contenter de manger du riz pendant quelques jours, j'avais plein de bonnes choses à manger ;-)

Pendant le push, y a-t-il eu un moment où tu as pensé que ça n'allait pas marcher ?

Jacopo: Je pense qu'on a eu trois « crux ». Le premier, c'était quand Babsi est tombée malade. Le deuxième, c'était le 13c pour moi, quand je n'arrêtais pas de glisser au même endroit. Le troisième, c'était le dernier 14a pour Babsi, où elle galérait avec le dernier mouvement difficile juste avant l'ancrage.

Babsi, tu tombais sur le dernier mouvement difficile de la voie ?

Babsi: C'était sur le dernier 14a (dans certains guides, c'est du 13d) mais pour nous deux, celui-là paraissait plus dur que le « crux pitch original 14a » plus bas. C'était le plus grand défi mental que j'aie jamais affronté. Au début, j'étais un peu abattu parce que je savais que j'allais rater le dernier passage difficile, même si tout s'était bien déroulé jusque-là. Je n'avais jamais essayé celui-ci en travaillant les longueurs, j'arrivais pas à relier la section du bas au crux du haut. Dès le départ, j'avais su que ce serait l'épreuve ultime... surtout après autant de jours sur le mur. Je sentais la pression.

Je suis tombé trois fois tout en étant en haut, perdant toute ma tension corporelle pour ce mouvement crux bien reachy (à seulement 3 mètres des chaînes). J’ai changé ma beta — c’était la clé. En appuyant ma tête contre le rebord pour hisser mon pied gauche bien haut pour les derniers mouvements de layback, j’ai, à ma grande surprise, envoyé. J’étais aux anges et j’ai fini par pleurer.

Jacopo, tu craignais qu'elle n'envoie pas???

Jacopo: On a tellement grimpé ensemble que je sais qu'elle touche à un « super pouvoir » dans ces situations, ce qui lui permet de grimper encore plus fort. Mais oui, bien sûr, j'étais inquiet. Ça n'aurait pas été pareil si on ne pouvait pas le faire ensemble.

Qu'est-ce qui t'a le plus plu en escaladant Magic Mushroom ?

Babsi: Chaque pitch était incroyable. Ma relation amour/haine avec le dernier 14a a été la meilleure ! Un pitch d’angle en surplomb. L’un des meilleurs pitches jamais réalisés et au tout sommet d’El Cap.

Jacopo: Je pense que le meilleur dans l'escalade de Magic Mushroom, c'était le fait qu'on a dû enchaîner autant de belles longueurs consécutives. Je ne m'attendais jamais à trouver une voie similaire. Et pour couronner le tout, je suis vraiment nul pour grimper dans les cheminées — c'est un style super difficile pour moi, alors réussir finalement, c'était encore plus génial.

Enfin, c'est quoi le meilleur dans le fait d'atteindre ensemble le sommet d'une voie sur El Cap ?

Exactement, c'est la meilleure partie ! Se retrouver au sommet ensemble après une expérience aussi intense.

Et bien sûr, la douche après, puis des chips et de la salsa.

—Entrevue par BD Contenu Éditeur Chris Parker