MARDI 7 JUIN 2022

Magic Line m'obligeait à être parfait, autant physiquement que mentalement. Sur le plan physique, il ne s'agissait pas tant de force que de maintenir la stabilité et la tension tout au long de la paroi. J'essayais d'imaginer une séparation nette entre le bas et le haut de mon corps pendant que je grimpais, alternant la tension entre les deux pour rester sur le mur tout en permettant à une partie de mon corps de se reposer sans glisser. 

Black Diamond présente : Magic Line avec Carlo Traversi

C'est comme respirer avec ton corps, en te dilatant et en te contractant au fur et à mesure que tu passes d'une position à l'autre. Mentalement, la perfection se caractérisait par le fait de trouver du réconfort dans l'insécurité inhérente aux prises. Il faut énormément d'énergie pour te convaincre en continu que tu ne glisses pas le long du mur sur 100 feet. C'est exactement ce que tu ressens. Il n'y a vraiment aucun moment de détente ou de répit. Les derniers mouvements, qui protègent les chaînes, bien qu'ils ne soient pas parmi les plus difficiles, t'attirent doucement avec une persuasion bienveillante, pour ensuite se retourner contre toi, obligeant tes pieds à monter un peu trop haut ou à se placer dans une prise maladroite. Tu te sens si proche, mais tout commence à s'échapper. 

La pression constante sur tes pieds se transforme en un engourdissement sourd, te faisant douter à chaque pas. Tes orteils commencent à presser à travers le caoutchouc de la bande et se recroquevillent doucement sur la semelle extérieure. Au fur et à mesure que tes talons montent, tu sens tes ongles prendre de plus en plus de poids, s'accrochant pour rester en place. 

Quand le finish jug est en vue, tu lèves les mains haut et tu donnes un coup de pied avec ton pied droit juste en dessous pour contrer un smear improbable. Tu appliques de la pression et fais semblant que tout est stable, même si tu ressens chaque cristal lutter pour s'échapper de l'enveloppe en caoutchouc qui les entoure. Et puis, le doute s'insinue et tu te détaches.  

Je suis tombé deux fois lors du mouvement final. Une fois en 2016 et encore cette saison passée. Je pouvais sentir mon esprit flancher dans ces moments, me convainquant que la meilleure façon d’envoyer était de tirer ou de pousser plus fort ; plus de puissance égale plus de contrôle. Mais tu peux te décrocher du mur et tu peux te détacher des ancres. Le contrôle n'est pas tout. Parfois, il te laisse coincé à te battre contre les mêmes conflits avec ton esprit et ton corps.

J'ai appris plein de leçons grâce à cette route. La première, c'était de découvrir ce feeling unique de flow. Ce n'est pas le mouvement fluide habituel, mais plutôt une combinaison un peu saccadée de gestes précis et de réactions rapides, pendant que mon corps se battait sans cesse pour garder l'équilibre. J'ai mis un bon moment à le trouver. Ça n'a jamais semblé vraiment juste, mais dès que je m'y suis installé, tout s'est mis en place. Apprendre à être à l'aise avec l'inconfort. 

La deuxième leçon, c'était de mettre un frein à tous mes doutes. Peu importe ce que je ressentais à l'instant, ce n'était qu'un sentiment, pas un résultat. Si j'étais encore sur le mur, j'avais toujours une chance. 

Et la plus grande leçon a été d'apprendre à te détendre. Même quand la fatigue s'accumule et que le stress devient insupportable, détends-toi et bouge. Le 27 février, toutes ces leçons se sont alignées et il ne restait plus qu'à grimper. C'était de la pure et simple magie.

-Carlo Traversi